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      • De la place Dombasle à la porte de la Craffe : un patrimoine universitaire à Nancy - Partie 2

      • Né en 1849 à Nancy, le physicien René Blondlot étudie notamment l’électromagnétisme. En 1893, utilisant la ligne locale du télégraphe, il parvient à prouver que la vitesse des ondes découvertes par Hertz correspond à celle de la lumière. Lauréat de plusieurs prix, décoré de la légion d’honneur, il devient professeur de physique expérimentale à l’Université de Nancy, et acquiert une réputation mondiale d’expérimentateur, que l’affaire des rayons N va malheureusement ruiner.

        En 1903, observant, sans y croire, la réfrangibilité des rayons X, dont les scientifiques ne sauront rendre compte que vingt ans plus tard, Blondlot se convainc d’avoir découvert « une nouvelle sorte de lumière » – allusion évidente à l’article de Roentgen intitulé « À propos d’une nouvelle sorte de rayons ». Les « rayons N » (initiale de Nancy) sont censés accroître l’incandescence d’un filament, l’éclat d’une étincelle électrique ou celui de la flamme d’une bougie. Capables de traverser le bois et certains métaux, ils seraient arrêtés par le plomb, le platine et l’eau pure. Dans une certaine fébrilité, Blondlot et son équipe recherchent de potentiels émetteurs de rayons N (soleil, métal porté au rouge, sources sonores…). Croyant tout matériau contraint susceptible d’émettre, ils expérimentent sur du bois et du verre comprimés, voire sur des aciers gallo-romains prêtés par le Musée lorrain. Le corps humain est également testé : un poing fermé pourrait produire des rayons N, tout comme l’appareil génital masculin : un préparateur de la faculté de médecine, ayant accepté de servir de cobaye, se retrouve un jour nu face à Bichat, qui ouvre la porte du laboratoire au cours d’une expérience !

        Tandis que les rayons N passionnent le monde entier, les doutes assaillent les collègues de Blondlot. Réputé pour sa rectitude et sa conscience professionnelle, Blondlot n’a toutefois rien d’un charlatan. Il commercialise son ouvrage avec un dispositif permettant de reproduire ses expériences, recommande de se placer perpendiculairement à l’écran, sans accommoder. Poincaré, sceptique, se réfugie derrière un prétendu spasme d’accommodation pour expliquer qu’il n’observe aucun phénomène. En réalité, il est aujourd’hui reconnu que le relâchement de l’accommodation provoque la dilatation de la pupille, et fait croire à une augmentation de l’intensité lumineuse…

        Dans une époque qui se familiarise avec divers rayonnements inédits (rayons X, radioactivité...), de nombreux scientifiques – parmi lesquels Langevin, Perrin ou Poincaré – poursuivent leur enquête, mais l’existence même des rayons N commence à être remise en cause. À l’automne 1904, le congrès international de physiologie récuse toute émission par le corps. Timide à l’origine, l’adhésion de la communauté scientifique s’effrite : les procédures d’observation ne semblent pas fiables ; la différence d’intensité n’est jamais captée par la photographie ; Blondlot refuse de se soumettre à des expériences à l’aveugle, prétextant qu’un observateur non prévenu ne peut rien voir.

        Les expériences se révélant non reproductibles ailleurs qu’à Nancy, Wood, spécialiste américain des rayonnements, traverse l’Atlantique. Sous ses yeux, Blondlot prétend réaliser la déviation de rayons N par un prisme, que Wood subtilise en profitant de la pénombre, tandis que Blondlot prétend encore voir les rayons. Le stratagème jette le discrédit sur le physicien nancéien. À sa décharge, les phénomènes paranormaux intriguent les scientifiques de l’époque : le physicien Crookes et le physiologiste Richet militent alors pour attester de l’existence des fantômes, et Pierre Curie s’est, un temps, intéressé au spiritisme !

        Une certaine hostilité se manifeste bientôt à l’égard de Blondlot, à qui l’on reproche de créer une « école de Nancy » de la physique tout aussi douteuse que celle de Bernheim et de Coué en matière d’hypnose. Dans une période aux forts relents nationalistes, on veille toutefois à ne pas ridiculiser la science française, ni en la récusant trop vite, ni en acceptant des idées erronées, et si, en 1904, l’Académie des sciences refuse de publier tout article au sujet des rayons N, elle honore Blondlot pour l’ensemble de son œuvre. Le physicien, qui conserve le soutien de l’Université de Nancy jusqu’à son départ en retraite, n’a jamais accepté son erreur, mais n’est jamais devenu fou, comme on l’écrit parfois.

        Les rayons N, encore évoqués par Planck en 1941, ont sombré dans l’oubli. Mécène généreux mort sans descendance, Blondlot a, outre divers dons aux instituts de mathématiques et de physique, légué à la Ville de Nancy la plus grande partie de son impressionnante fortune, et notamment les terrains proches de sa résidence au numéro 8 du quai Claude Le Lorrain, sur lesquels se trouve le parc actuel. La rue qui longe l’arrière du lycée Poincaré, percée en 1882 et dénommée sept ans plus tard rue Nicolas Blondlot, en hommage au chimiste lorrain, honore le père et le fils depuis 1940.

        En 1919, toutes les propriétés minières et métallurgiques allemandes sur le sol français voient le départ de leur personnel d’encadrement, et quatre cents ingénieurs doivent être remplacés. Nancy n’ayant guère de ressources budgétaires au sortir de la guerre, les industriels locaux et nationaux subventionnent alors totalement la création de l’institut métallurgique et minier, dont la première promotion compte trente-trois étudiants. En 1920, l’établissement – au conseil d’administration duquel figurent les grands noms des aciéries de Longwy, des fonderies de Pont-à-Mousson, le président du comité des forges de France François de Wendel, ou encore Antonin Daum – devient école supérieure des mines et de la métallurgie, puis, en 1951, école nationale supérieure de la métallurgie et de l’industrie des mines.

        Initialement hébergé dans l’ancienne école Saint-Sigisbert, annexe du lycée Poincaré, l’institut dispose, pour tout amphithéâtre, d’une chapelle désaffectée, mais se dote, dès 1924, d’un laboratoire de micrographie, puis, dès l’année suivante, d’un laboratoire de recherches hydrauliques. En 1937, à l’initiative de la fondation privée Hinzelin-Lhuillier, les hôpitaux civils de Nancy supervisent, dans le parc de Saurupt, la construction d’un nouvel établissement pédiatrique doté d’un orphelinat. Lorsque la guerre éclate, seul le gros œuvre est achevé, et les locaux sont utilisés comme entrepôt par les Allemands. Le projet d’hôpital étant finalement abandonné, l’école des mines investit les lieux en 1960, pour ne les quitter que récemment, à l’ouverture du campus ARTEM, rue du sergent Blandan.

        À partir de 1831, la grande place de Grève a été dotée d’une fontaine redistribuant les eaux de la source de Boudonville à une vingtaine de points en ville. Lorsque, en 1879, l’eau de la Moselle est acheminée par aqueduc depuis Messein, le monument est modifié. Vétuste dans les années 1950, il est remplacé par un bassin à jet d’eau, qui disparaît avec la construction du parking souterrain.

        Cours Léopold, l’actuelle présidence de l’Université est dessinée en 1927, pour l’industriel vosgien Pierre Gutton, par l’architecte de la reconstruction de l’Opéra de Nancy après son incendie : Hornecker. La demeure accueille ensuite le siège régional d’une société de distribution d’essence. L’extension avec garage et station-service, datant de 1964, a aujourd’hui cédé la place à la Maison des pays d’Europe centrale et orientale, édifiée en 2007, à l’angle de la rue Saint-Michel.

        À l’issue du traité de Francfort, les promoteurs nancéiens doivent répondre à une gageure inédite : loger treize mille personnes fuyant l’Alsace-Moselle germanisée. Devenue la seule grande ville de l’Est, Nancy s’apprête à passer de soixante-dix mille habitants en 1881 à cent vingt mille en 1913. Soixante-douze artères sont créées en vingt ans, faisant émerger des quartiers entiers. Le dynamisme sans précédent de Nancy, où le patronat alsacien a transféré ses activités, n’est pas sans répercussions sur l’essor local de l’Art nouveau – ainsi, les frères Daum sont issus d’une famille originaire de Bitche. Sur le plan universitaire, la ville, qui s’est dotée de trois facultés (sciences, lettres et droit) depuis le milieu du dix-neuvième siècle, accueille, en 1872, la faculté de médecine et l’école supérieure de pharmacie de Strasbourg.

        Portrait de Albin Haller © Coll. Faculté de Pharmacie - Image'Est (FI-0849-0138)

        Maître de conférences en chimie organique venu d’Alsace en 1879, Haller est pleinement conscient de la supériorité scientifique et industrielle de l’Allemagne, qui, dans le sillage du laboratoire-école fondé par Liebig à Giessen, a multiplié les instituts alliant recherche et enseignement. En cette fin du dix-neuvième siècle, la France manque de compétitivité dans la formation des ingénieurs pourtant si indispensables au fort développement de l’industrie locale.

        Le souhait d’Haller de fonder un établissement novateur est exaucé en 1887 : sur ordre du directeur de l’enseignement supérieur Liard, le ministère de l’Instruction publique accorde à Nancy cinq cent mille francs – le salaire moyen annuel d’un ouvrier de l’époque avoisine les mille cinq cents francs – pour fonder un institut chimique et un institut anatomique, à condition que soient mises à contribution, pour un montant équivalent, les conseils généraux de Meurthe-et-Moselle et des Vosges et la municipalité de Nancy – cette dernière mettant par ailleurs à disposition des terrains. Contrairement à ce que prétend la légende, le projet de lever un impôt sur la bière pour financer l’institut chimique est resté sans suite.

         

        Statue de Ernest Bichat, rue de la Craffe à Nancy © Coll. F. Rémond - Image'Est (FI-0859-0832) 

        Bichat, doyen de la faculté des sciences, membre du conseil général de Meurthe-et-Moselle et du conseil municipal de Nancy, joue un rôle décisif. Ce fils d’une famille de jardiniers lunévillois sera, durant dix-sept ans, en charge de mandats successifs. Un square, ainsi qu’une rue – située vers la cité de Monbois, tout comme la rue Haller – portent aujourd’hui son nom.

        L’Université ne cherche plus forcément à faire occuper à ses locaux une position centrale dans la ville. La priorité d’Haller est de quitter le palais académique, trop encombré et inadapté – le laboratoire de chimie, situé dans les caves, dispose alors d’une hotte sans cheminée de tirage ! On envisage le boulevard Lobau – finalement jugé trop éloigné du palais académique et situé en zone inondable –, le gymnase municipal du boulevard Charles V, ou encore le couvent de la Visitation, avant d’opter pour un bâtiment neuf, à construire sur un terrain de l’ancien bastion Saint-Louis, proche du centre-ville et du palais, et autrefois occupé par les services de la voirie municipale.

        Dans un souci de rationalité et de proximité avec l’industrie, l’architecture des instituts veut se démarquer des fastes de l’université impériale. Le naissant style Art nouveau étant considéré trop polémique pour représenter les institutions publiques, c’est à l’architecte municipal Albert Jasson – qui construira bientôt la salle Poirel – qu’échoit la conception de l’édifice. Contrairement à son prédécesseur Morey, Jasson se concentre sur le plan et sur l’aspect fonctionnel de la construction. Partisan de décors d’inspiration classique, souvent composés de hauts pilastres alliant sobriété et aspect monumental, il essuiera toutefois des critiques : jugé trop moderne, trop uniforme et trop peu ornemental, son style sera comparé à celui des casernes ou des fabriques…

        Le bâtiment de l’institut chimique présente deux ailes inégales. La plus longue suit la rue baptisée en 1867 du nom du chimiste et pharmacien Braconnot, qui a dirigé le jardin botanique de Nancy, étudié la chimie végétale et animale, et préparé des substances préfigurant certains explosifs, telle la nitrocellulose. Il a résidé au numéro 15 et a légué sa fortune à la Ville et à l’académie de Stanislas. La façade de l’institut porte diverses inscriptions, la principale mentionnant la faculté des sciences. Le nom de l’établissement figure au-dessus, en caractères plus modestes. De part et d’autre sont disposés deux cartouches évoquant la chimie générale et la chimie industrielle, domaine-clé dans une Lorraine qui s’enorgueillit de ses ressources en fer, charbon et sel.

        Institut chimique, rue Grandville à Nancy © Coll. F. Rémond-Image'Est (FI-0859-0837)

        L’entrée principale de l’institut se situe sur la rue baptisée du nom du caricaturiste nancéien du début du dix-neuvième siècle Grandville, dont le buste orne l’entrée voisine du parc de la pépinière. À l’origine, un monument présentant une femme tenant un miroir et un buste de Grandville avait été conçu par Bussière à partir d’un autoportrait de l’artiste. Édifié à la demande de son fils, qui avait légué cinquante mille francs à la Ville, inauguré en 1893, il s’avançait devant le parc. En 1941, le buste a été fondu sous le régime de Vichy – le modèle actuel en est une copie. Envoyée à Bordeaux au début de la guerre, la statue féminine en bronze y a mystérieusement disparu.

        À la rentrée 1889-1890, doté d’une surface quatre fois supérieure à celle de l’ensemble de la faculté des sciences, l’institut chimique se voit reprocher la « prodigalité inouïe » de ses « vastes laboratoires ». Si les chercheurs travaillent rue Grandville dès 1891, l’inauguration officielle des lieux par le président Carnot, en 1892, fait forte impression à une époque où les déplacements en province des présidents sont rares – Carnot en accordera seulement deux durant son mandat –, ce qui explique que la Ville ait fait élever trente-cinq arcs de triomphe. L’électricité ne s’invite dans les locaux qu’avec les premières centrales électriques, qui approvisionnent Nancy en 1896. La première promotion compte six élèves, dont trois seulement sortent diplômés ; un effectif de vingt étudiants par promotion n’est atteint qu’à la fin du siècle.

        Encadré de plaques commémoratives, le grand escalier actuel ouvre sur un portrait sculpté d’Haller. La structure en « E » de l’édifice, avec deux cours munies d’arcades, optimise la lumière et la ventilation. Priorité a été donnée aux salles de travaux pratiques, hautes sous plafond, éclairées par de larges baies. Deux amphithéâtres côtoient deux grandes salles abritant une bibliothèque et des collections. En 1903, pour répondre à de nouveaux besoins, la partie gauche du bâtiment est surélevée, mais l’administration ne dispose de locaux qu’après un réaménagement général des lieux en 1936. L’institut devient alors école supérieure des industries chimiques. Inaugurée en 1961, l’annexe de la rue Déglin, édifiée sur l’emplacement du manège de la caserne Hugo, est aujourd’hui désaffectée.

        Haller a atteint son objectif : créer la première école d’ingénieurs-chimistes de France et la première école à vocation de recherche. En 1899, il succède à Friedel à la Sorbonne ; six ans plus tard, il devient directeur de l’école supérieure de physique et de chimie industrielles de Paris, créée en 1882 pour pallier l’annexion de l’école de chimie de Mulhouse. Grignard, autre figure-clé de l’institut, travaille, de 1909 à 1919, dans un laboratoire à l’angle des rues Braconnot et Grandville. Lauréat du prix Nobel de chimie en 1912, il est mobilisé comme surveillant de gare pendant la guerre, et dénoncé pour port illégal de légion d’honneur. La vérité est heureusement rétablie. Aujourd’hui, le campus de sciences et technologies de Vandœuvre-lès-Nancy porte son nom.

        Depuis le seizième siècle, la production de bière s’est développée en Lorraine, bénéficiant même de la venue de Pasteur à Tantonville. La fin du dix-neuvième siècle voit la naissance des premières écoles de brasserie à Lille et à Paris, et Nancy, qui bénéficie du repli des producteurs alsaciens après l’annexion, souhaite faire entendre sa voix à l’heure où Champigneulles se prépare à accueillir les grandes brasseries et malteries. Si les artisans de la région sont d’abord circonspects, ils finissent par faire du laboratoire d’analyses brassicoles, fondé en 1893 à l’institut chimique, un partenaire privilégié, qui se mue en une authentique école de brasserie formant les futurs chefs de fabrication, habituellement recrutés à l’étranger, et pour laquelle Jasson construit un nouvel édifice en 1896-1897.

        Ecole de Brasserie et de Malterie de l'Université de Nancy / Ph. J. Scherbeck © Coll. Scherbeck Héritiers-Image'Est (FI-0634-0008) 

        En 1958, l’école deviendra école supérieure de brasserie, de malterie et de biochimie appliquée. Fondés dans les années 1900, l’institut agricole et colonial (devenu école nationale supérieure d’agronomie) et l’école de laiterie la rejoindront en 1970 pour constituer l’école nationale supérieure d’agronomie et des industries alimentaires, qui investira le plateau de Brabois en 1984.

        De Göttingen (avec Nernst) à Uppsala (avec Arrhenius) en passant par Utrecht (avec Van’t Hoff), l’Europe de la fin du dix-neuvième siècle voit émerger la chimie physique et l’électrochimie. Inspiré par sa visite de l’exposition internationale de Chicago en 1893, Haller souhaite créer un nouvel institut pour concurrencer les Allemands, et lance, en 1897, une souscription dans le monde de l’industrie, tandis que le doyen Bichat sollicite la Ville de Nancy.

        Un chef d’entreprise belge implanté depuis 1873 à Dombasle-sur-Meurthe se prépare alors à jouer un rôle majeur dans le développement de l’enseignement supérieur local. Successeur du chimiste français Leblanc dans la production du carbonate de sodium, scientifique amateur – il se hasarde à des théories sans lendemain concernant la matière et l’énergie – mais patron visionnaire guidé par une authentique soif de justice sociale, Ernest Solvay s’est forgé une réputation paternaliste au sein de son personnel. En témoignent les cantines et écoles qu’il développe au cœur de ses usines, les dispositions pionnières qu’il inaugure en matière d’assurance-maladie, ou encore ses idées relatives à une fiscalité toujours plus équitable. Dès 1892, disposant de bénéfices que la presse dénonce comme « fantastiques », Solvay s’est vu opposer un refus à sa demande d’exploiter directement les mines de sel au lieu de payer les producteurs lorrains.

        Cherchant à désarmer la méfiance de ces derniers et à dépasser le nationalisme industriel, il gagne l’estime locale en offrant à Haller, par l’intermédiaire de la société industrielle de l’Est, une subvention de cent mille francs, équivalente à celle du Conseil général, tandis que la Ville cède un terrain rue Sellier. Sans l’aide de l’État, on parvient ainsi à construire une série de laboratoires, un amphithéâtre, deux grandes salles techniques abritant des générateurs électriques, ainsi que des salles relatives à la teinture et à l’impression des tissus. Un passage en sous-sol relie le nouveau bâtiment à celui de l’institut, qui double pratiquement sa superficie. Démoli dans les années 2000, le bâtiment à verrière a fait place à une construction plus récente, des fouilles révélant temporairement le bastion d’autrefois.

        Bientôt, c’est un institut d’électrotechnique que Bichat projette. Dans une époque où la distribution d’électricité se généralise, il imagine une école de spécialisation pour diplômés, destinée à la formation des futurs chefs d’industrie en la matière. La Ville de Nancy lui concède un terrain contre la porte de la Craffe, à l’emplacement des magasins de la voirie ; Solvay et le Conseil général octroient de nouveau chacun cent mille francs, rejoints par d’autres industriels, et l’institut accueille ses cinq premiers étudiants en 1900. La mort prématurée de Bichat, en 1905, n’empêche pas la création d’une section de mécanique appliquée, qui entraîne l’édification d’un nouveau bâtiment, accolé au premier en 1909.

        Cinq ans plus tard, le chantier d’agrandissement est confié à Lucien Weissenburger, architecte de nombreux édifices Art nouveau, tels la villa Majorelle, la villa Bergeret, l’Excelsior, la maison Chardot (52 cours Léopold), ou sa propre maison, construite à l’angle du boulevard Charles V, avec la complicité de Majorelle et de Grüber. La guerre éclate alors que le gros œuvre est à peine achevé, et une torpille allemande détruit en partie le bâtiment en octobre 1917. Malgré un surcoût, les travaux sont menés à terme après l’armistice, achevés en 1924, et la rue de la Citadelle devient le parvis de l’institut.

        Au-dessus de ce qui est à l’origine le bureau du directeur, surplombant la conciergerie, la façade évoque le mécénat de Solvay, tandis que sont, par ailleurs, mentionnées l’Université de Nancy et la faculté des sciences. Comme sur le bâtiment de l’institut chimique, les disciplines – électrotechnique et mécanique – sont évoquées au niveau des parties latérales. Au sein de ces instituts, les amphithéâtres ont cédé la place principale aux salles de travaux pratiques et de recherche. Considéré au milieu des années 1920 comme le laboratoire le mieux équipé de France, l’institut d’électrotechnique et de mécanique appliquée devient, en 1947, l’école nationale supérieure d’électricité et de mécanique, qui, en déménageant en 1989 sur le pôle de Brabois, libère des locaux repris par l’école européenne d’ingénieurs en génie des matériaux à sa création en 1991, puis, après le déménagement de cette dernière pour le quarter Stanislas-Meurthe, par l’ENSIC.

        Souhaités par feu le doyen Bichat, les instituts de mathématiques et de physique (actuel collège de la Craffe), dédiés aux sciences pures, sont inaugurés en 1909, soulageant les étudiants à l’étroit dans le palais académique, place Carnot. Le boulevard Charles V a un temps été envisagé pour leur construction, mais la Municipalité a fini par céder un terrain nécessitant le déblaiement à grands frais des vestiges des remparts de Nancy. Elle y ajoute la somme de cinquante mille francs – montant égal à celui qu’offre Solvay. L’industriel a, par ailleurs, financé, à Bruxelles, une école de commerce ainsi que des instituts en sciences sociales et en électrophysiologie, avant de fonder les instituts de physique et de chimie, en écho au célèbre congrès de 1911.

        Jasson se voit confier l’édifice, au grand dam de ses détracteurs, qui lui reprochent de cumuler les fonctions d’architecte municipal et d’architecte de l’Université, bénéficiant ainsi d’un quasi-monopole à l’échelle du département. Si certains saluent l’allure du bâtiment, qui ne dépare pas la porte de la Craffe, d’autres regrettent un espace sans dégagements, qui ne met pas la construction en valeur, la rue des frères Henry n’étant pas encore percée. En cette même année 1909, dans un style bien différent, Nancy inaugure sa chambre de commerce et d’industrie, avec vitraux de Grüber, incrustations de pâtes de verre de Daum, ferronneries et décorations sculptées…

        Plus sobre, le bâtiment conçu par Jasson articule, autour d’un corps d’entrée circulaire doté d’un majestueux vestibule ovale, une aile principale donnant sur l’emplacement initial du monument à Bichat, et une aile secondaire longeant la rue de la Craffe. La forme du pivot répond à la porte de la Craffe. La corniche, massive, rappelle, par son fronton, l’Université de Nancy ; l’horloge présente deux femmes encadrant un blason portant le chardon lorrain. Le portail avec fronton cintré mentionne les instituts de mathématiques et de physique.

        Le corps de bâtiment sur la rue de la Craffe est rythmé par des pilastres, dont les chapiteaux mettent en exergue la géométrie, l’analyse, la mécanique et l’astronomie, sous un fronton évoquant les mathématiques. Sur l’actuelle rue des frères Henry, la corniche évoque la physique générale, et présente deux globes terrestres, tandis que les chapiteaux mentionnent la gravitation, l’élasticité, l’acoustique, la chaleur, l’électricité, le magnétisme, l’optique et la météorologie – de 1910 à son bombardement lors de la Première Guerre mondiale, un institut d’aérodynamique et de météorologie a également existé à Nancy.

        Les instituts de mathématiques et de physique seront agrandis en 1935 sur la rue Philippe de Gueldre. En 1966 aura lieu la première rentrée universitaire au sein du bâtiment du premier cycle du campus du Vélodrome, à Vandœuvre, le dernier laboratoire quittant les instituts en 1975. Deux ans plus tard, les locaux accueilleront le collège de la Craffe, qui, au rez-de-chaussée, a conservé le grand vestibule ovale d’origine. Au premier étage, la bibliothèque a été transformée en salle du conseil. La cour présente encore une portion des anciennes fortifications, en partie abattues pour construire les instituts.

        Percée en 1934 pour décongestionner la seule entrée au nord de la vieille ville, la rue séparant aujourd’hui la porte de la Craffe des instituts s’est vue baptisée du nom de Pierre-Paul et Mathieu-Prosper Henry, astronomes de la seconde moitié du dix-neuvième siècle ayant travaillé à l’Observatoire de Paris, et à qui est due la découverte de quatorze astéroïdes. Également opticiens, les frères Henry ont mis au point des lentilles et des objectifs qui ont remporté un grand succès.

        À l’instar des rues Guibal ou Érignac, proches de la place d’Alliance, la rue des frères Henry est l’une des rares artères de Nancy à ne pas comporter de numéros. À sa création, le long des anciens remparts, elle ampute une portion notable du jardin de l’hôtel de Fontenoy (actuelle cour administrative d’appel), au fond duquel se trouvait un décor de porte feinte en pierre. Le nivellement nécessaire à la circulation automobile en a fait de nos jours un étonnant encadrement de porte suspendu, contre une façade borgne.

        Autre conséquence du percement de la rue des frères Henry – un temps baptisé du nom du duc Ferry III –, le square Bichat a été déplacé et occupe désormais une partie du jardin. À l’origine, l’architecte de l’École de Nancy Bussière, déjà sollicité pour le monument à Grandville, avait réalisé un monument grandiose doté de deux statues figurant l’alliance de la science (représentée par une femme) et de l’industrie (représentée par un forgeron), à rapprocher de l’allégorie de la recherche conçue par Victor Prouvé pour la façade de l’Université populaire, rue Drouin, vers l’octroi Saint-Georges. Au cours de la Première Guerre mondiale, les statues du square Bichat ont été fondues, et, en 1943, sous l’occupation allemande, le buste a été caché dans les sous-sols de la faculté adjacente, pour lui épargner un sort analogue. L’actuel buste de Bichat est une copie datant de 1990, l’original ayant été dérobé.

        Le square honore ce personnage central de la vie universitaire nancéienne, natif de Lunéville, devenu professeur en 1877 – son ami Pasteur lui a offert la robe alors requise –, puis doyen de la faculté de sciences dès 1888. Désireux de créer, dans la ville, un courant d’opinion favorable à l’enseignement supérieur, Bichat a enseigné l’électricité aux ouvriers et aux artisans locaux, fait connaître au grand public le téléphone, le phonographe, la T.S.F., ou encore l’air liquide, et a largement encouragé les étudiants à développer des activités culturelles et festives. Outre son engagement administratif, il s’est illustré en tant que chercheur en électromagnétisme et en optique, domaines au sein desquels il a collaboré avec Blondlot.

        Si le nom d’Henri Poincaré, né au numéro 117 de la Grande rue, est indubitablement lié à Nancy, il convient toutefois de rappeler que le célèbre scientifique n’y a ni étudié, ni enseigné. Petit-fils de pharmacien, il est le fils d’un pionnier de l’hygiène publique et de la médecine du travail. De santé fragile depuis l’enfance, mais doté d’une mémoire fabuleuse et de remarquables facilités, il écope d’un zéro à l’épreuve écrite de mathématiques du baccalauréat, ce qui ne l’empêche pas de remporter le premier prix du concours général. Major de promotion à l’École polytechnique malgré un zéro à l’épreuve de dessin du concours d’entrée, futur enseignant de la prestigieuse institution, il épouse l’arrière-petite-fille du naturaliste Étienne Geoffroy-Saint-Hilaire.

        Philosophe autant que scientifique, Poincaré laisse de nombreux ouvrages relatifs à la science, au sein desquels il montre de quelle manière le savant, partant des impressions reçues par ses sens, perce progressivement les secrets de la nature. Lui-même explore de très nombreux domaines, allant de l’astronomie à la mécanique en passant par les mathématiques, étudiant l’aplatissement terrestre et les marées – ce qui lui vaut, des mains de George Howard Darwin, fils du célèbre naturaliste, la médaille d’or de la société royale d’astronomie de Londres. En 1913, son cousin Raymond, président de la République, donne au lycée de Nancy le nom d’Henri, mort l’année précédente.

        Arnaud FISCHER
        Enseignant à l'Université de Lorraine

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