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      • Dossier pédagogique
      • Photographie Avion allemand Albatros, capturé le 30 juillet 1915.

      • Document pédagogique rédigé par Pierrick HERVE, docteur en Histoire contemporaine, professeur de Chaire supérieure CPGE BL lycée Guisth’Hau de Nantes.

      • Photographie Avion allemand Albatros, capturé le 30 juillet 1915.
      • Description et contexte

        Le cliché est une photographie de 1915, prise en noir et blanc pour la maison Odinot, impression photomécanique.

        Le document montre un avion allemand de type Albatros capturé le 30 juillet 1915 après avoir survolé et bombardé Nancy, exposé Place Stanislas les 2 et 3 août à Nancy (Meurthe et Moselle).

        L’aviation, l’histoire récente d’une arme nouvelle.

        L’albatros est un avion de reconnaissance, du type biplan, avec deux ailes portantes superposées, occupé par deux aviateurs, pilote et observateur. La légende de la photographie, qui se présente comme une carte postale, souligne l’emploi de cet avion pour bombarder la ville de Nancy. Le bombardement est associé à l’activité de reconnaissance. Il est aussi utilisé comme avion de formation, avion-école jusqu’à son remplacement par l’Albatros C. 1.  De nombreux pays de l’Europe balte et scandinave ont utilisé cet avion notamment après la Grande Guerre.

        L’avion sur la place est posé, intact, mais il n’a pas atterri là. Il est présenté comme « capturé », l’albatros n’est ni un avion de combat ni un avion de chasse mais par l’usage qui en est fait, il le devient. En 1915, l’avion est utilisé principalement pour l’observation, la maîtrise du ciel. Cependant si la transformation du ciel en un lieu de combats, un front aérien, n’en est qu’à ses débuts, les avions disponibles deviennent des armes volantes. Ces débuts de l’aviation de guerre touchent particulièrement le ciel de Nancy et sa région, proche du front, voire front lui-même.

        L’histoire de l’aviation est récente, elle a à peine vingt ans quand la guerre débute. La motorisation touche en Allemagne les dirigeables Zeppelin. L’aviation des années 1900 est jugée suffisamment efficace pour des usages militaires même s’il y a débat sur ces emplois. Entre 1909 et 1914 elle devient progressivement une composante de la guerre moderne. Le chef d’état-major général allemand Von Moltke se montre favorable au développement de l’aviation militaire pour conduire la guerre, pour la reconnaissance tactique, pour les communications, pour le repérage des troupes ennemies et de leurs mouvements. Mais dans l’armée française l’aviation est peu ressentie comme arme utile. Dans l’étrange défaite Marc Bloch prête à Foch des propos d’opposition au développement de l’aviation au sein de l’armée française avant et pendant la Grande Guerre.

        Par ailleurs la population est familiarisée à l’aviation par des spectacles, des représentations, des salons, des meetings aériens. Il s’agit donc à la fois d’une nouveauté, reflet de la modernité dont la France s’est emparée lors de la « Belle Époque », et de l’objet par lequel la mort et la destruction frappent la ville en cet été 1915.

        Pendant le conflit, dès la bataille de la Marne, les avions de reconnaissance jouent un rôle important. À partir de 1915, avec les perfectionnements de l’aviation, arrive l’arme aérienne quand observation, chasse et bombardement deviennent des activités distinctes. Des moteurs plus puissants, des capacités de bombardement plus importantes font entrer l’aviation dans la guerre des matériels. Les Français bombardent des villes allemandes (Trèves, Sarrebruck, Ludwigshafen…). Face à cela sont construits en Allemagne des Fokker, pour lutter contre les avions Voisin, pour bombarder les productions de guerre et démoraliser les populations. En 1915, la ville de Londres est attaquée par des Zeppelins. Le ciel devient un champ de bataille.

        Se développe alors l’idée d’un type de guerre nouveau qui pourrait mettre fin à la guerre, l’idée d’un type de guerre détruisant les ressources industrielles et alimentaires de l’adversaire. Les bases sont posées, le grand tournant de l’aviation militaire peut se faire en 1916.

        Revenons à Nancy, le premier engagement d’un Fokker a lieu le premier juillet 1915 du côté de Lunéville, un des pilotes testeurs force un avion français Morane à se poser dans ses lignes, touché par près de deux cents impacts de balles. Le ciel de Nancy est un champ de bataille et d’expérimentations.

        Un Trophée de guerre.

        Durant la Première Guerre mondiale, entre 1915 et 1918, la place Stanislas de Nancy va régulièrement servir de lieu d’exposition pour les avions pris intacts ou détruits (carcasses, moteurs …) à l’ennemi par l’aviation française. Si la propagande militaire est un des objectifs initiaux de ces présentations, les effets diminuent à mesure que la guerre dure, mais la présentation des armes prises, canons notamment révèlent aussi d’autres finalités.

        Cette photographie, qui suppose plus qu’elle ne dit, invite l’historien à une enquête que les archives militaires et locales rendent fructueuse. Au début du mois d’août 1915, les Nancéens sont invités à venir voir sur la place centrale un avion pris à l’ennemi, placé devant la mairie pavoisée, tournant le dos à la statue de Stanislas. Une foule nombreuse de femmes, d’enfants et d’hommes en civil, en terre de France, proche des zones de combats, défile devant cette prise de guerre, encadrée par des soldats. L’avion est présenté comme un trophée, signe de la victoire, ici prochaine et promise. Dans une tradition très ancienne, répétée dans de nombreuses villes de France pendant le conflit, les autorités présentent des prises à l’ennemi intégrant par l’objet l’arrière au conflit, justifiant ses sacrifices, son engagement, comme une mise en scène de l’héroïsme des soldats nationaux. La guerre est ainsi présente à l’arrière, tout près du front ici dans une mise en scène qui tend à effacer sa réalité, à taire ses aspects les plus meurtriers et barbares, comme s’il s’agissait d’en présenter une version aseptisée. L’avion est intact, qu’est-il arrivé à ses pilotes ? Ont-ils rejoint leurs lignes ? Sont-ils prisonniers ? La guerre est présente sans l’extraordinaire violence qu’elle produit depuis août 1914. Et si les autorités montrent une certaine guerre, les populations croient-elles voir la guerre ? Ailleurs des canons, des mitrailleuses, pris à l’ennemi sont présentés comme des rostres romains. Le trophée est la preuve tangible du courage des soldats qui défendent le front fragile qui protège encore Nancy et qui ne peuvent pas encore rentrer parce que la guerre n’est pas terminée. Et sans doute les civils, confrontés au contrôle de l’information, trouvent-il là un lien avec le front, le monde des soldats en guerre, si loin, si proche.

        La guerre est présente dans le ciel au-dessus de Nancy et de la Lorraine. D’autres documents nous montrent que l’avion présenté est réputé avoir été capturé près de Nomeny, à une quinzaine de kilomètres au nord de Nancy, après avoir survolé en escadrille la ville de Nancy et procédé à un bombardement vers cinq heures du matin. En 1915 le bombardement aérien consiste en un jeté de bombes. Nous ignorons l’ampleur des dégâts ainsi que le bilan de ce bombardement. Mais il s’agit bien de montrer que l’armée française a mis hors d’état de nuire, celui par qui le malheur et les destructions sont arrivées et qu’elle rend aux habitants l’origine de leurs douleurs sans rien dire des horreurs du combat.

        Le 30 juillet 1915 s’inscrit dans l’histoire de l’aviation militaire comme le jour d’une des nombreuses victoires de Charles Nungesser qui a abattu un albatros. Nous ignorons pour l’instant s’il s’agit de celui qui est présenté ici, qui n’est pas dans l’état d’un avion abattu. Cependant d’autres documents notamment les archives de Nanterre présentent un avion allemand exposé Place Stanislas à Nancy capturé par Nungesser. Le recensement des vols de Nungesser indique à la date du 31 juillet 1915 le vol suivant : « Charles Nungesser pilote, soldat Gaston André mitrailleur. Une victoire homologuée à bord d’un avion Voisin LAS contre un albatros C qui se pose dans les environs de Nancy entre les lignes. Son équipage s’enfuit mais l’avion est capturé par les troupes françaises et sera exposé sur la Place Stanislas à Nancy ».

        Cette victoire vaut la croix de guerre à notre As, mais il a une fâcheuse tendance de faire des acrobaties aériennes avant de se poser… ce qui n’est pas du goût de ses supérieurs. Il est néanmoins muté à l’escadrille de chasse N 65, basée à Nancy, et il écope de 8 jours d’arrêt suite à ses acrobaties. Comble pour le pilote, il reçoit une interdiction formelle de vol… levée le 28 novembre 1915 alors qu’il abat encore un Albatros.

        L’avion capturé met la population en contact avec l’action des as de l’aviation, qui n’occupent pas encore dans les mentalités collectives la place qu’ils prendront quelques mois plus tard à la fois dans l’action pour Nungesser ou Fonck et dans le malheur comme pour la disparition de Georges Guynemer en 1917 à Poelcappelle. Mais ce jour est aussi connu comme celui du premier combat aérien d’un Fokker au-dessus de Lunéville, le Fokker, est la nouvelle menace de la puissance ennemie, l’Albatros pris à l’ennemi est presque déjà de l’histoire ancienne.

        Cet Albatros essuie les regards intrigués de la foule, sans doute quelques quolibets, peut-être des remarques humoristiques, des jeux de mots comme la situation sait en créer, pour dominer sa peur, mais la photographie souligne qu’assurément « exilé sur le sol au milieu des huées, ses ailes de géant l’empêche de… » voler, réduit à l’impuissance.

        Une utilisation pédagogique.

        Voici un document particulièrement intéressant pour lancer des élèves dans une enquête, au premier sens du mot histoire, par supports numériques, à la recherche de documents iconographiques complémentaires tant sur les trophées de guerre que sur l’épisode spécifique à Nancy. Il trouve sa place dans le thème 4, la Première Guerre mondiale : le « suicide de l’Europe » et la fin des empires européens. Dans le chapitre 1, il est proposé de traiter d’un embrasement mondial et de ses grandes étapes en présentant les formes de la guerre (terrestre, navale et aérienne). Le document renvoie à l’un des sous-objectifs qui est de montrer le passage à la guerre de position dont la guerre aérienne sur le front occidental est un des aspects. Il trouve bien évidemment aussi sa place dans le chapitre 2, les sociétés en guerre : des civils acteurs et victimes de la guerre, pour montrer l’implication des sociétés, des économies, des sciences et techniques. Il est aussi utile pour construire la notion de culture de guerre.

        Les mutations scientifiques et techniques pendant la Grande Guerre, l’exemple de l’aviation, les civils dans la guerre et notamment les formes de liens entretenus entre eux et cette dernière, voilà les thèmes centraux que ce document permet de travailler. A côté de thèmes classiques, les mutations des mondes du travail, la place des femmes, des enfants, les liens entre l’arrière et le front… Le front revient vers l’arrière de multiples façons, par les permissionnaires, par de la terre du front. Ici les temps des sociabilités et des loisirs collectifs, donner à voir la guerre, mettre en contact les civils et les matériels nouveaux, connus par les meetings d’avant-guerre. Tout en donnant sens au trophée pour les mentalités collectives, justification des sacrifices consentis, valorisation de l’armée nationale…

        La photographie permet à la fois d’aborder les liens entre front et arrière, d’aborder une arme moderne qui construit son utilité dans les conflits. Un peu sèche, pour être comprise elle invite à fouiller l’événement qu’elle relate. Comme nous l’avons fait, aller chercher l’information permettra aux élèves, chercheurs en herbe de partir à la rencontre de la ville, du pilote qui a sans doute forcé l’avion à se poser, convoquant tour à tour le contexte de l’événement photographié et celui plus large des armées et des populations en guerre.

        Lire la photographie, poser les questions auxquelles elle ne répond pas immédiatement pour construire un récit d’historien capable de mettre en perspective et de donner sens, voilà sans doute l’enjeu pédagogique d’un tel document qui pourrait intéresser une formation de futurs enseignants.

        Bibliographie indicative :

        John H Morrow, Les airs, chapitre XIII, in La Première Guerre mondiale, Tome 1, Les combats, sous la direction de Jay Winter, Paris, Fayard, 2013, 383-414.

        Blog présentant des photographies d’avions allemands exposés place Stanislas pendant la guerre : http://patrimoine-de-lorraine.blogspot.com/2018/04/nancy-54-quand-la-place-stanislas.html

      • Publié le 15/07/2022
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