« Sans distinction de compagnie ou de bataillon. Avec quelques copains retrouvés de ma section, je me rallie au commandement du lieutenant Jordan de la 6e compagnie que je connais bien. Celui-ci cherche sans doute à reprendre une partie du terrain lâché au moment de l’explosion et nous repartons en avant, en tirailleurs, vers la droite, en direction du mamelon. Pendant 80 ou 100 mètres nous courons sous un déluge de balles de mitrailleurs qui chantent à nos oreilles mais qui éclaircissent les rangs peu à peu. Teissier dit « Petit breton » (le seul, je crois, retrouvé de mon escouade) qui se trouve immédiatement à ma droite est touché à la main ou au bras, pousse un cri et lâche son fusil. Il me dit adieu et bonne chance et en rampant ( ?) se dirige vers l’arrière avec l’espoir de la délivrance. Après un regard d’envie à son adresse (car je ne suis pas un combattant « enragé » et en 1918, il y en a beaucoup comme moi), je continue en avant vers mon destin! Mais nous n’avons plus le temps de penser, de réfléchir, car nous sommes de plus en plus enfoncés dans une bataille implacable. Assaillis avec violence sous les mitrailleuses et l’artillerie. [Note dans la marge] A mon retour de captivité j’ai appris que Teissier avait pu retourner au front. »
François Deluermoz est né le 1er décembre 1893 à Vulliens. Il décède en 1974. Le fonds comprend deux cahiers d'écolier (2 x 100 pages) dans lesquels François Deluermoz, grand-père de M. Georges Giraudet (déposant), a retranscrit ses souvenirs de guerre en France et de captivité en Belgique et Pologne. L’ensemble comprend des photographies, des morceaux de papier sur lesquels François Deluermoz a noté ce qui lui paraissait important pendant la guerre (il précise qu’il a égaré/perdu une partie de ces papiers) et quelques cartes postales. Il indique sur l’une des pages de son journal que chaque jour, il collecte des informations sur des petits papiers et qu’il les met dans sa besace. Il précise que chaque information couchée sur ces petits morceaux de papier a été soigneusement vérifiée par ses soins. Malheureusement, la plupart de ces papiers ont été perdus.
Lors de sa mobilisation en 1914, François Deluermoz est domicilié à Vulliens, en Haute-Savoie. Sa fiche matricule, consultable aux Archives Départementales de Haute-Savoie, indique qu’il est cultivateur et qu’il a reçu une instruction de base : il sait lire, écrire et compter. En décembre 1913, il est incorporé à la 14e section d’infirmiers, comme soldat de 2e classe, à l’ambulance 13/14. Il passe dans le 77e régiment d’infanterie en janvier 1917, puis au 4e régiment d’infanterie en avril 1917, et dans 4e campagne le 29 avril 1917. Il disparait au combat, à Rimbercourt, dans l’Oise, le 25 mars 1918. Il a été, en réalité, fait prisonnier par les Allemands et passe par plusieurs camps (Charleroi, puis Czerkz en Poméranie). Il est finalement libéré en janvier 1919, démobilisé en février. A partir de 1919, il est détaché comme employé dans la compagnie de chemin de fer Paris-Lyon-Méditerranée.
La date à laquelle son journal a été rédigé n’est pas précisée mais nous pouvons supposer que la rédaction se fait alors que François Deluermoz a un âge certain car les cahiers sont dédiés à ses petits-enfants.
Cet extrait de journal atteste de la violence des combats. En mars 1918, les offensives reprennent. A partir du 21 mars 1918, les Allemands déclenchent l’opération « Michel » sur environ 70 kilomètres. Deluermoz et ses camarades ont pour mission d’empêcher les Allemands de se diriger sur Paris.
Lors du 25 mars 1918, la grande inquiétude des Alliés est perceptible. Pétain lance un appel à ses troupes "L'ennemi s'est rué sur nous dans un suprême effort. Il veut nous séparer des Anglais pour s'ouvrir la route de Paris. Coûte que coûte, il faut l'arrêter. Cramponnez-vous au terrain! Tenez ferme! Les camarades arrivent. Tous réunis, vous vous précipiterez sur l'envahisseur. C'est la bataille! Soldats de la Marne, de l'Yser et de Verdun, je fais appel à vous : il s'agit du sort de la France!" (Illustration)
Le 25 mars, à Compiègne, est également prise la décision de confier le commandement unique à Foch. Foch a deux objectifs : couvrir Paris sans abandonner Amiens. Les forces en présence sont impressionnantes. L’armée allemande dispose de 192 divisions d’infanterie et 6 200 pièces d’artillerie. Côté Alliés, ce sont 171 divisions d’infanterie (dont 99 sous le commandement de Pétain) et 300 chars Schneider et Saint-Chamond. Les premiers chars Renault sont en attente de livraison. Lors de cette offensive, l’armée allemande a pu progresser d’environ 60 kilomètres mais son avance est finalement stoppée début avril.
Les deux cahiers rédigés par François Deluermoz ont été confiés par son petit-fils à Image'Est. Ils rejoignent ainsi de nombreux témoignages et récits qui nous sont parvenus aux XXe et XXIe siècles. Une grande majorité de ces textes n’ont pas fait l’objet d’une publication papier. Rémy Cazals indique que les témoignages considérés comme les plus fiables par Jean Norton Cru ont été édités ou réédités par certaines maisons d’édition. Ces témoignages ont pour auteurs des soldats diplômés (les 2/3 sont titulaires d’une licence). Rémy Cazals, lui, souhaite faire connaitre des récits issus de milieux plus populaires (cf. Les carnets de guerre de Louis Barthas). Le récit de Deluermoz appartient à cette catégorie et sa publication numérique, sur le site Image’Est, permet de donner accès à de nouveaux matériaux contribuant à une meilleure compréhension de certains aspects de la Grande Guerre.
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Scénario pédagogique - Civils et militaires dans la Première Guerre mondiale [Séquence complète]pdf - 205 Ko