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      • Etape O
      • Les Salines Royales de Dieuze (803* – 1973**)

      • LA ROUTE DU SEL EN LORRAINE

      • Travail collaboratif de l'Association des Salines Royales de Dieuze sous la présidence et la responsabilité de Bernard FRANCOIS
        *803 : première mention datée des Salines de Dieuze dans un document
        **1973 : arrêt de la production de sel

        Très longue histoire que celle du sel à Dieuze !
        Le sel, véritable "or blanc", indispensable à l’alimentation quotidienne, certes, mais autrefois surtout, indispensable comme moyen de conservation des viandes, du poisson qui était un produit de grande consommation au Moyen-Âge ;  
        Le sel, nécessaire aussi pour les animaux et le tannage des peaux ;  
        Le sel, utilisé comme moyen de guérison . . . et même de sorcellerie ; 
        Le sel, source de développement de tout un réseau de métiers spécifiques quant à sa fabrication, son transport, son commerce : 
        Le sel, élément de base de l’industrie chimique à Dieuze au début du XIXe siècle :
        Le sel, signifiant alors essor de la ville, développement de l’économie et des voies de communication !
        Aussi est-il aisé de comprendre les rivalités et les luttes engendrées au fil du temps par les différents pouvoirs pour s’approprier la saline de Dieuze, si précieuse à l’économie et source de revenus importants ! 
          • Les Salines royales
          • 57260 Dieuze ( 57 )
          • France
          • Lon. 6.7173172
          • Lat. 48.8126323
      • Pourquoi du sel à Dieuze ?

        Au trias (début de l’ère secondaire), un océan, "Téthys", recouvre une partie de l’Europe. Le climat tropical de cette période favorise l’apparition de lagunes peu profondes et permet la cristallisation et le dépôt du sel contenu dans l’eau de mer.

        Au cours des ères géologiques suivantes, ces dépôts de sel ou "évaporites" sont recouverts par des sédiments, ce qui explique la présence d’un gisement salifère en Lorraine et à Dieuze en particulier. Dans le Saulnois, le sel affleure à certains endroits à moins de 50 mètres de profondeur.       

        A l’origine, Dieuze n’est qu’un petit village voire un hameau comme il en existe beaucoup en Lorraine. La présence des sources salées dans les environs immédiats de la ville attire la population. Dieuze se développe et prend peu à peu de l’importance. Un acte officiel atteste que Dieuze possède déjà son puits salé et son marché en 1062. 
        La ville et la saline forment deux entités bien distinctes : chacune d’elles possède ses remparts et ses fossés bien visibles sur les cartes du XVIIe siècle.

        Carte de Clopstain vers 1628-1629

        1°- Carte de Clopstain vers 1628-1629
        Cette carte a été dressée par Alexandre Clopstain, tailleur à la saline de Marsal, Elle provient d‘un dossier sur le flottage du bois réalisé suite à une ordonnance du duc de Lorraine du 12 mai 1628. Un puits à balancier représenté à droite sur la carte rappelle l’activité salicole de la ville.

        Plan

        2°- Cartes de Beaulieu vers 1644
        Le plan et le profil de la ville de Dieuze sont extraits de l’album de gravures "Plans et profils des principales villes des duchez de Lorraine et de Bar. . . ", album réalisé après 1641. 

        Une légende, portée sur le plan, donne des précisions sur la ville : 

        1ère légende : "La ville est revestue de Pierres et de briques,  le fossé et plein d’eau qui ne se peut vuider a cause des marais et des rivières qui le remplissent. La Saline est fermée d’une simple muraille aux quatre coings de la quelle il y a une tour. Sa fortification est de Pierre par le bas et revestue de gazons par le haut fraizée et palisadée comme le Chef couvert"

        2ème légende :  "Table du plan

        A   la Ville        
        B    le Chasteau      
        C    Porte de 
        D    la Saline ou est le Puy
        E    le fossé plein d’eau
        F    le Chemin couvert 
        G    le Glacis 
        H    la Tranchée d’aproche 
        I    Baterie de trois pièces de canons"
        Profil

        Sur ce profil, on remarque bien les remparts bastionnés de la saline et les murailles de la ville munies de nombreuses tours avec un décrochement à l’emplacement du château.

        Le puits salé d’où l’on extrait la saumure est l’élément essentiel autour duquel gravite toute la vie de la saline. La saumure s’écoulant des oculus sur la façade du bâtiment qui abrite le puits est le symbole de cette source de vie. 

        Extrait du plan de la saline daté de 1752

        Les bâtiments indispensables au bon fonctionnement de la saline sont regroupés autour du puits : 

        • le bâtiment administratif appelé aussi "La Recette" est destiné à la direction et aux différents bureaux
        • les halles, loges et hangars abritent les réservoirs, les poêles, les séchoirs, les réserves de matériel et de fournitures nécessaires à l’entretien. Voitures et voituriers peuvent se réfugier sous les hangars par mauvais temps. 
        • Les magasins à sel pour stocker le sel sec.
        • Les ateliers des maréchaux-ferrants et mécaniciens, des charpentiers, des tonneliers.     
        • le corps de garde près de l’entrée      
        • les maisons d’habitations pour le personnel : directeur, receveur, inspecteurs, contrôleurs, maréchaux-ferrants et mécaniciens, charpentiers, tonneliers et "gabelous". 
        • un "four banal" (une boulangerie a été ouverte en automne 1846, à la charge de la saline lors de la crise alimentaire), un pressoir, une chapelle, des écuries, des jardins complètent l’ensemble de ces bâtiments. 

        Derrière ses remparts, la saline forme une agglomération distincte de la ville. Les accès sont étroitement surveillés et protégés par de lourdes portes. Tout est aménagé de telle sorte que la saline puisse vivre en autarcie.       

        Le personnel

        L’encadrement du personnel affecté à la saline est très structuré. L’Inspecteur Général des Salines de Lorraine et de Franche Comté demeure à Paris. Plusieurs inspecteurs sont chargés de contrôles particuliers comme les sources, les bâtiments.
        Dans la saline même se répartissent plusieurs classes d’employés :

        1 - Les officiers du Roi : 
        a) Le gouverneur responsable du bon fonctionnement de la saline. 
        b) L’officier tailleur responsable de la délivrance des bois par les Eaux et Forêts, du mesurage et de l’emploi du bois.  
        c) L’officier trilleur, responsable des livraisons, du mesurage du sel et de l’enregistrement des ventes.
        d) Le boutavant et l’aide-boutavant (ou contre-boutavant) responsables du remplissage des vaxels et des réserves de sel.

        2 - Les employés et commis :
        a)  Le Directeur général des Salines est responsable des salines et réside dans la saline de son choix.
        b) Le receveur présent dans chaque saline délivre les billets de distribution du sel aux voituriers. 
        c) Le contrôleur des bancs règle l’ordre de distribution du sel aux voituriers et surveille la livraison. 
        d)  Le portier inscrit sur un registre tout ce qui rentre ou sort de la saline.
        e) Le contrôleur des cuites et le contrôleur des bois jouent un rôle important dans l’exercice même de la formation. 

        3 - Les ouvriers
        Charpentiers, maréchaux, forgerons, tonneliers, ouvriers des poêles, ouvriers des loges sont indispensables à la formation, à la fabrication et à l’entretien du matériel.  Plusieurs modes d’exploitation ont marqué la production du sel : 
        1° Jusqu’en 1826, seul le puits salé fournit la saumure nécessaire à la fabrication du sel 
        2° De 1826 à 1864, le sel est exploité dans la mine de sel gemme 
        3° De 1864 à 1885, la saumure est puisée directement dans la mine.
        4° De 1885, jusqu’à l’arrêt de la fabrication du sel en 1973, la saumure est obtenue par forages et pompages.  
         

        Le puits salé 

        • Puits salé en 2009

        • Façade du puits salé et ses deux oculus 

        • Puits salé 

        • Corps de chêne du saumoduc 

        Le bâtiment du puits salé abrite le puits et les machines élévatoires qui permettent de tirer la saumure du puits. Les deux oculus symbolisent la saumure qui s’écoule d’une urne.

        De section rectangulaire (5,40 m /3,45 m.) et d’une profondeur de 12,85 m., le puits salé collecte les eaux de deux sources salées. La saline de Dieuze est "la plus riche en sel et la plus abondante en eau". La teneur en sel avoisine 16° à l’aéromètre de Baumé soit 120 à 130 grammes par litre.  
        Un coffrage en bois fait de plusieurs encagements consolide les parois du puits sur une hauteur de 1,72 m. Le tout est revêtu extérieurement d’une couche de corroi battu de 2 m. d’épaisseur destiné à éviter les infiltrations d’eaux douces puis d’un mur d’enceinte. 
        La salure et le débit (ordinairement de 770 m3 en 24 heures) des eaux salées peuvent varier. Vers le milieu du XVIIIe siècle, le débit et le degré de salinité des eaux s’affaiblissant régulièrement, le puits est reconstruit en 1744/1745. Les eaux retrouvent leur salure normale mais leur débit s’accroît de telle sorte qu’il y a un excès d’eau salée. En 1746, un saumoduc, d’une longueur de 12,556 km., fait d’une file de corps en bois de chêne, est établi entre Dieuze et Moyenvic pour alimenter la saline de Moyenvic.

        Au fil des progrès et inventions, l’extraction des eaux salées s’est effectuée par divers procédés. 
        Le premier système mis en œuvre est celui du puits à balancier, procédé très ancien déjà utilisé dans l’Antiquité. Sur une grosse poutre verticale fichée en terre s’articule une poutre plus fine, à bras inégaux. L’une de ses extrémités est munie d’un contrepoids et l’autre porte le seau. Par un mouvement de bascule, on plonge le seau dans le puits où il se remplit. On remonte le seau à l’aide du contrepoids. Chaque installation s’appelle une fourche ou "furca". Certains disent aussi "ciconia" par analogie au balancement d’une cigogne en train de s’abreuver. Ce procédé d’extraction perdure jusqu’au XIVe siècle.  
        Il est alors remplacé par un système élévatoire plus élaboré appelé "chapelet hydraulique". Sur une chaîne sans fin sont fixés des "godets". Cette chaîne coulisse dans une "buse", grand cylindre de bois plongé verticalement dans le puits. Une poulie dont l’axe horizontal est relié d’une part à la chaîne, d’autre part à la grande roue dentée du manège entraîne la chaîne à godets.  Huit chevaux, attelés deux à deux, actionnent le manège et la chaîne à chapelet remonte la saumure. Les chevaux doivent courir au trot pour que l’eau ne retombe pas dans la buse. 
        Ce système est parfois appelé Paternoster.  

        Manège . . .  comme autrefois !

        Le chapelet hydraulique présente le double avantage d’accroître les quantités d’eaux extraites et de diminuer la peine physique des "puiseurs".

        En 1744, l’installation d’une roue hydraulique entraînée par l’eau du Spin permet d’actionner des pompes aspirantes. Selon les besoins en eau salée, ces deux systèmes sont utilisés de façon complémentaire. La chaîne à chapelet déverse les eaux extraites du puits salé dans une "auge", Par des canalisations en bois, la saumure est amenée aux réservoirs, les "baissoirs".
        Les baissoirs sont formés de madriers colmatés par de l’étoupe et goudronnés. Ils sont protégés par un toit suspendu, tenu par quatre supports, de telle sorte que la circulation de l’air améliore la concentration de la saumure. Dans ces baissoirs, l’eau se décante et dépose déjà des impuretés. 
        Le corps des baissoirs est à une hauteur supérieure à celle des poêles de sorte que, selon les besoins, la saumure s’écoule directement dans les poêles par des conduites en bois. Certains baissoirs peuvent contenir jusqu’à 1600 muids (plus de 430 m3). 
        En 1752, quatre baissoirs alimentent les poêles de la saline de Dieuze. Un cinquième baissoir collecte les eaux destinées à la saline de Moyenvic. 
        L’extraction des eaux salées du puits a cessé vers 1890, après l’installation des sondages.  

        Les poêles

        Une poêle est un bac le plus souvent rectangulaire dans lequel on chauffe la saumure pour obtenir le sel par évaporation. Cette opération s’appelle la "formation". 

        Poêle à sel en 1911 

        Les dimensions des poêles varient d’une saline à l’autre et parfois d’un atelier à l’autre. Au XVIIIe  siècle, à Dieuze, elles mesurent généralement 26 pieds de longueur sur 20 pieds de largeur soit 8,58 mètres sur 6, 60 mètres. Elles sont profondes de 20 pouces soit 54,10 centimètres. Formées de plaques en fer battu de forme carrée ayant 0,5 m. de côté et 5 mm. d’épaisseur et  assemblées avec de gros rivets, elles sont suspendues au-dessus du foyer à l’aide d’anneaux, tirants et crochets. Seuls ses bords reposent sur un support de quatre murs de pierre d’une hauteur avoisinant 1,40 mètre et de 57 centimètres d’épaisseur. Le foyer est installé sur un pavage de briques. Un vaste cendrier aménagé sous le fourneau assure le tirage et recueille les cendres. Derrière chaque poêle, est adossée une poêle plus petite, le "poêlon", de même fabrication que la grande poêle mais n’ayant pas de foyer. Le poêlon contient quatre fois moins de saumure que la grande poêle. L’eau y est chauffée uniquement par l’air  chaud  et les fumées qui  proviennent de la première poêle et qui passent au-dessous du poêlon. Des poêles rondes sont aussi utilisées pour la fabrication du sel fin.  

        Par extension, la dénomination de poêle est donnée aussi à la "halle" qui abrite une poêle, ses accessoires d’exploitation, les bancs (loges situées à droite et à gauche des poêles où l’on dépose temporairement le sel obtenu).      
        Chaque poêle porte un nom. En 1737, elles s’appellent : poêle de devant, poêle du milieu, poêle de derrière, poêle neuve. Plus tard, d’autres suivent : Sophie, Jean, Françoise, Bonnard, Soyer...
        Chaque poêle est une unité de fabrication. Le nombre de poêles en activité reflète l’importance de la saline. 
        Au XVIIIe siècle, le nombre de poêles n’a cessé d’augmenter à la saline de Dieuze :  6 en 1720, 7 en 1756, 11 en 1759 (8 poêles à gros sel sont en construction cette même année), 21 en 1760, 29 en 1765, 37 en 1779, 48 en 1789.

        La formation  

        La saumure qui sort du baissoir passe par le poêlon pour remplir la poêle. Le temps qui s’écoule entre l’arrivée de l’eau dans la poêle et l’obtention totale du sel s’appelle une "cuite", certains disent un "tour". La durée d’une cuite est d’environ 24 heures. Pour obtenir le gros sel, il faut compter de 48 à 72 heures voire même davantage.  
        Cinq ouvriers s’affairent autour de la poêle : le "maître de poêle", le "socqueur", le "salineur", le "bœuf" ou valet de la poêle, et le "brouetteur". Chacun a un rôle bien déterminé dans le déroulement de la cuite. 
        La saumure est chauffée progressivement par un feu de fagots puis plus activement avec du bois de corde. 
        Bien que décantée par son passage dans le baissoir, la saumure contient encore des impuretés. Sous l’action de la chaleur, il apparaît notamment un composé chimique, le schlot, qui se dépose sur les parois et dans les angles de la poêle. Le schlot doit être éliminé pour obtenir un sel de bonne qualité : c’est le rôle du socqueur. Le socqueur est aussi chargé de surveiller constamment la température de l’eau de la poêle notamment au moment de la cristallisation (entre 81° et 85°). De lui dépend donc la réussite d’une cuite. Au cours de la formation, des petites caisses de fer ou "augelots" pourvues d’une anse, sont placées le long des parois et dans les angles de la poêle pour recueillir le "schlot" et l’éliminer au fur et à mesure de son apparition.   
         Le sel formé est ramené vers le bord à l’aide d’une planchette percée de trous, le "râble". Sorti de la poêle avec une pelle courbe, il est placé sur des claies, les "chèvres", installées au-dessus de la poêle pour l’égouttage qui dure de 16 à 24 heures. Les chèvres, portées par les ouvriers de la poêle sont alors versées dans les bancs, c’est "la brisée". Le sel séjourne encore cinq à six heures dans les bancs où il finit de sécher avant d’être porté dans les magasins. Certaines poêles d’un modèle nouveau possèdent un plan incliné sur le manteau pour l’égouttage du sel. 
        A partir de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, la chaleur auparavant perdue à la sortie du poêlon, est récupérée et menée par une tuyauterie aux séchoirs où l’on dépose le sel égoutté.   
        Soumises à ces hautes températures et à la corrosion, les poêles se détériorent. Il faut interrompre la production une quinzaine de jours pour les réparer et enlever, avec masses, burins et marteaux, le "schlot" qui adhère fortement aux parois. Cette interruption est une "abattue". Une bonne poêle ne résiste pas à plus de 27 à 30 abattues soit environ 18 à 20 mois.

        Les conditions de travail sont très pénibles dans ces ateliers. Jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, il n’y a pas encore d’échappatoire ni de cheminée dans le bâtiment des poêles. Seul un trou derrière le poêlon communique avec l’extérieur. La chaleur, les fumées, la vapeur âcre du sel humide irritent les yeux et la gorge des ouvriers. 
        La chaleur y est si forte que parfois la charpente s’enflamme.

        Le combustible

        Jusqu’à 1780, le seul combustible utilisé pour la formation est le bois. La saline consomme d’énormes quantités de fagots et de bois de corde, particulièrement de chênes et de hêtres. Elle s’approvisionne dans les forêts domaniales environnantes où le bois, dit "le bois du sel", lui est strictement réservé. Le volume de bois nécessaire est tel que les forêts domaniales ne suffisent pas à pourvoir la saline.
         En 1750, pour pallier à la pénurie de bois et augmenter les rendements, un arrêt du Conseil des Finances provoque la création de la Commission de Réformation. Cette dernière vise les bois des particuliers, seigneurs, communautés religieuses et laïques, simples sujets pourvu que leurs forêts se trouvent à proximité de la saline afin de limiter durée et frais de transport. Quand la ressource locale est insuffisante, la saline doit s’adresser à des grueries situées au-delà des limites du canton pour obtenir le bois nécessaire à sa consommation. 
        En 1753, la saline a utilisé 18 000 cordes de bois et 800 000 fagots. Dans les années suivantes, cette consommation a considérablement augmenté avec la création de nouvelles poêles. En moyenne, il faut compter au moins 8 cordes par cuite pour une poêle (environ 25 stères). Tout ce bois est amassé dans un vaste espace situé derrière les poêles, "le parc à bois".  

        Ce tableau de Géricault (1791-1824) illustre bien les difficultés que rencontrent les voituriers au cours de leurs "charrois". 

        Le bois est transporté en charrettes tirées par des attelages de cinq ou six chevaux. Outre les aléas du temps et des saisons, les "voituriers" doivent faire face à de nombreuses difficultés dues notamment à des routes dégradées par les nombreux "charrois".

        Les habitants de la ville ne peuvent plus s’approvisionner sur place. Ils sont tenus de se déplacer très loin (12 ou 14 lieues soit environ 53 ou 62 km) pour se procurer non seulement leur bois de chauffage mais aussi leur bois de construction à des prix très élevés
        En 1789, ils manifestent leur mécontentement dans les Cahiers de Doléances : " Nous observons que les bois sont d’une cherté exorbitante dans cette province. La cause en est qu’il y a trois salines qui envahissent les bois des particuliers. Le moyen d’y remédier, ce serait de les supprimer . . ."

        La graduation

        Beaucoup d’inventeurs se penchent sur le problème.
        Partant de la constatation que l’eau salée a d’autant plus de "valeur" que son degré de salinité est élevé (plus de sel, moins de bois). Un nouveau système est inventé pour saturer la saumure, avant de l’envoyer dans les poêles : c’est la "graduation".     
        Le bâtiment de la graduation est particulier. Il est constitué d’une charpente ajourée remplie de fagots serrés et d’un toit qui protège le tout. D’une longueur supérieure à 190 mètres et de la hauteur de deux étages, la graduation est montée sur un socle de maçonnerie. L’eau salée venant du puits est montée en haut de la graduation à l’aide d’une pompe hydraulique où elle est déversée sur les fagots. Elle s’écoule entre les brindilles des fagots. L’évaporation qui se produit augmente le degré de salinité de l’eau que l’on recueille dans des bassins au pied de la graduation. L’opération est répétée jusqu’à ce que la salinité soit suffisante pour l’envoyer aux poêles.

        • Principe de la graduation 

        • Graduation (détail)

        En 1737, l’administration de Louis XV impose son emploi malgré la réticence des fermiers. Installé à la saline de Dieuze en 1740, le bâtiment de la graduation est finalement démoli en 1758. 

        Plan de 1813 où est représenté le canal des Salines arrivant dans le bassin

        Après l’abandon de la graduation, on se tourne vers un autre combustible : la houille. La saline de Dieuze pratique des essais avec la houille pendant quelques semaines : l’expérience est concluante. Pourtant, son utilisation ne sera adoptée que plus tard . . . sur ordre gouvernemental en 1780.  Et encore ne sera-t-elle employée que partiellement selon les saisons. 
         De nouvelles poêles aptes à brûler la houille sont installées. Quatre poêles fonctionnent en 1780, 6 en 1783 et 8 un peu plus tard.

        Pour alimenter ses poêles en houille, la saline va se fournir en Sarre. La construction d’un canal de Dieuze à Sarrebruck, "le Canal des Salines", est projetée pour faciliter le transport du combustible vers Dieuze et du sel vers la Sarre. 
         Dans le décret signé par Napoléon Ier le 15 avril 1806, l’article 27 stipule : "Il sera ouvert un canal de navigation de la Sarre à Dieuze ; ce canal sera fait sur les plans des ingénieurs des Ponts et Chaussées. La dépense en sera supportée, moitié par l’Etat, moitié par les preneurs." 
        Les travaux commencent en 1810 sur le ban de Dieuze mais ils sont interrompus par les évènements de 1814 et l’exil de Napoléon Ier. Le canal ne sera jamais terminé. Cependant, les échanges continuent avec la Sarre comme auparavant, en chariots.  

        La Délivrance

        La Délivrance en 1999

        Ce long bâtiment doit son nom au rôle qu’il assume dans le fonctionnement de la saline : c’est dans ses murs que se "délivre" le sel aux voituriers. 
        La Délivrance est destinée au stockage du sel et à sa livraison. 
        Sous son toit élevé s’aligne une enfilade de loges sans plafond : les magasins à sel. Ces loges reposent sur un solide plancher surélevé, monté sur des madriers croisés pouvant supporter des charges importantes.  Les cloisons de séparation entre les différents magasins sont faites de planches épaisses et de madriers. L’espace compris ente la charpente imposante et le dessus des cloisons est libre et permet de parcourir toute la longueur du bâtiment. Les magasins sont ravitaillés par le haut et chacun collecte une seule qualité de sel. 

        • Magasin à sel
          (détail d’une cloison)

        • Magasin à sel
          (détail du plancher)

        • Cloison d’un magasin en 2011

        • Blocs de sel  en 2011

        Du sel aggloméré accroché sur les cloisons et quelques blocs ont même été retrouvés dans les magasins lors de la réhabilitation du bâtiment.  

        La répartition du sel dans les magasins s’effectue à l’aide de wagonnets circulant sur des rails dans l’espace libre sous le toit. Le sel séché est chargé dans un wagonnet qui va le déverser dans le magasin approprié. 

        Au cours de la première moitié du XVIIIe siècle, quatre magasins suffisent pour stocker le sel. Comme les poêles, chacun d’eux porte un nom : Léopold, François, Stanislas, Magasin Neuf. 
        Mais le nombre de poêles augmentant après 1756, il faut donc créer de nouveaux magasins. Agrandie à plusieurs reprises, la Délivrance finit par atteindre une longueur proche de 100 mètres et renferme une vingtaine de magasins. Sur sa façade s’ouvrent treize grandes portes de plain-pied par lesquelles on accède aux magasins. Certaines portes ont un cadre en pierre de taille, d’autres en grès des Vosges. Les plus récentes ont un encadrement de briques.

        • Façade de la Délivrance en 2009
           lors des travaux de réhabilitation 

        • Détail de quelques portes en 2009

        Portes dans la galerie 

        En 1864, une ligne ferroviaire, Avricourt-Dieuze, est créée. Un embranchement spécial est établi dans la saline jusqu’à la Délivrance et un quai est érigé contre le bâtiment pour le chargement direct des wagons. La partie basse des portes se trouve cachée par le quai. La partie haute est visible dans la galerie actuelle de la Délivrance, cette dernière remplaçant l’ancien quai du XIXe siècle.  

        Le commerce de la saline est très intense. Dieuze fournit en sel, non seulement la Lorraine, mais aussi les régions avoisinantes ainsi que l’étranger comme le Luxembourg, le Palatinat, la Suisse. Comme le transport du bois, le transport du sel se fait essentiellement par chariots. Chaque jour, de 300 à 400 voituriers viennent s’approvisionner aux magasins à sel. 
        Dès le XVIIè siècle, depuis la création du monopole, la vente du sel est très réglementée et étroitement surveillée. En Lorraine, les particuliers sont tenus de se ravitailler aux "greniers" de l’Etat au prix fixé par le souverain, auquel s’ajoute encore l’impôt de la gabelle. Les contrebandiers sont sévèrement punis. Les peines peuvent aller jusqu’au bannissement voire les galères.   
        La livraison de sel est soumise à un rituel rigoureux et très contrôlé. Chaque voiturier doit satisfaire aux formalités d’usage et s’acquitter des "taxes de délivrance". Il doit présenter au receveur une "lettre de voiture" qui indique la quantité de sel à charger. Le receveur inscrit la quantité de sel commandée et le nom du destinataire sur un registre. Il délivre au voiturier un "sauf-conduit" que ce dernier doit remettre au portier ainsi que trois "billets de distribution" : le premier pour le "contrôleur des bancs", le second pour le "trilleur" et le troisième pour le "boutavant". Le voiturier se rend alors au magasin à sel pour la livraison. 
        Le "vaxel" (mesure utilisée pour le sel) est rempli par le boutavant placé à droite de la mesure et le "contre-boutavant" placé à gauche. Le trilleur arase la mesure avec la trille et inscrit le débit sur un registre. Les "ouvriers des loges" portent ensuite le sel à la voiture dans des corbeilles d’osier pendant que le contrôleur des bancs annonce la quantité chargée à chaque passage. Ces corbeilles sont vidées dans des tonneaux. Etant donné la rareté du bois, vers 1763, les tonneaux sont remplacés par des sacs ficelés et plombés. Le chargement terminé, la voiture est recouverte d’une toile épaisse, la "bauche", scellée elle aussi par les "baucheurs". Après acquittement des taxes, le voiturier reprend son sauf-conduit chez le portier. Il peut alors partir. 
        Quand les voituriers partent pour l’étranger, le sauf-conduit est échangé à la frontière. Au cours du transport, les voituriers, en particulier ceux qui alimentent les greniers à sel de l’Etat, sont escortés par des gardes de la gabelle. Des inspecteurs ambulants peuvent vérifier l’intégrité des tonneaux ou des sacs. 

        Le sel gemme

        Jusqu’au début du XVIIIe siècle, on ne soupçonne pas la présence de sel gemme dans le sous-sol lorrain. Les premiers sondages effectués à Vic sur Seille en 1818 révèlent qu’il existe bien du sel gemme en Lorraine. 

        Plan de la mine 

        La "Compagnie des Salines et des Mines de l’Est" projette d’établir une unité d’’exploitation de sel gemme à la saline de Dieuze. Elle passe un contrat avec un entrepreneur anglais, Sieur Furnival, qui commence les travaux en mai 1826. Suite à des difficultés entre les "contractants", le Sieur Furnival abandonne les travaux en mars 1827. La direction de la Compagnie confie alors la responsabilité du chantier à l’Ingénieur des Mines Jules Levallois.

        Deux puits d’extraction de 1,42 m. de côté, aux parois revêtues d’un double boisage et distants de 8,5 m. l’un de l’autre, sont creusés dans l’enceinte de la saline : le puits Sainte-Barbe et le puits Saint-Etienne. Un troisième puits, le "puisard", de même section que les précédents est destiné, à l’origine, à l’épuisement des eaux douces provenant des puits d’extraction. Une galerie, dite "galerie du puisard", conduit les eaux douces collectées par des "gargouilles" vers le puisard. 

        Le foncement des puits s’effectue en un premier temps jusqu’à la 9e couche de sel c’est-à-dire à 108 m. de profondeur. La couche de sel, bien que de qualité moyenne, permet alors d’alimenter provisoirement les poêles en eaux salées saturées. Dans cette 9e couche, l’exploitation s’y fait par galeries de 5 m. de large et de 3 m. de haut. La totalité des galeries d’exploitation atteint 900 mètres à ce niveau. 

        Dans les puits Sainte-Barbe et Saint-Etienne coulissent des bennes dites les "tonnes" qui assurent le transport du sel gemme mais aussi des eaux salées.  Une tonne peut porter 565 kg. Les eaux saturées provenant d’un bassin spécial aménagé dans la 3e couche de sel, sont élevées aussi par des pompes. Bennes et pompes sont actionnées par des machines à vapeur. 

        L’approfondissement des puits révèle la présence de quatre couches de sel sous la 9e couche déjà exploitée. Cette 11e couche d’une épaisseur de 5,20 m. est située à 139 m. de profondeur. Renfermant du sel blanc bon à l’emploi sous forme de sel gemme, elle est aussitôt mise en exploitation. 
        Dès lors, l’activité de la mine se déroule essentiellement dans la 3e et la 11e couche de sel.      

        En 1828, les eaux du puisard sont déviées vers une autre galerie et le puisard est aménagé pour la descente des ouvriers dans la mine. Comme le foncement du puisard s’arrête à la 9e couche, un autre puits est creusé de la 9e à la 11e couche pour accéder au lieu d’exploitation.

        La galerie principale est menée à partir de la ligne qui joint le centre des deux puits. Elle est creusée sur une largeur de 6 m. et taillée en voûte de 0,67 m. de flèche, pour qu’il y ait encore une épaisseur de 1 m. de sel au-dessus de la clé de voûte.  Tous les 26 m. sont ouvertes des galeries latérales de mêmes dimensions que la galerie principale puis des galeries transversales selon le même modèle. Ce quadrillage délimite les "massifs" à exploiter (système des "piliers perdus"). Sur chaque massif, le sel est abattu jusqu’à ce qu’il reste un pilier carré de 4,66 m. de côté. Ce mode d’exploitation laisse donc des piliers qui soutiennent le toit de la galerie. Sur une suite de 9 massifs, le massif central est conservé entier pour augmenter la solidité du toit.  

        Pour extraire un bloc de sel gemme sur un massif, les "piqueurs" préparent d’abord des entailles de 0,55 m. de profondeur en utilisant un pic terminé en pyramide très acérée. A l’aide d’un fleuret, "la batrouille", ils creusent des trous de 3 à 4 cm. qu’ils remplissent de poudre puis ils installent le système d’allumage pour produire l’explosion. La mèche doit être suffisamment longue pour leur laisser le temps de se réfugier derrière un pilier avant l’explosion. 
        Le sel abattu est aussitôt trié en deux classes : le blanc et le gris. 
        Le sel gris est cassé en morceaux de la grosseur d’un poing. Il est destiné à la lixiviation afin de saturer les eaux salées dans le "lessivoir". La saumure obtenue est ensuite remontée soit par pompage soit dans la tonne, vers les poêles pour la formation selon le mode opératoire traditionnel. 
        Le sel blanc est chargé dans les tonnes puis emporté dans la salle de triage. Cassé en morceaux de la taille d’un œuf, il est à nouveau trié pour éliminer le plus d’impuretés possible. Moulu à deux reprises, il devient "le sel égrugé" qui est livré aux fabriques de produits chimiques ou vendu dans le commerce.

        Au début de l’exploitation de la mine, le sel est roulé à la brouette jusqu’au puits et chargé dans la tonne.  Quelques années plus tard, des wagonnets que poussent les mineurs, remplacent les brouettes.
        Le 8 février 1864, à 6 heures du matin, le sous-chef saunier remarque des petits éboulements provenant du toit de la galerie d’accès au bassin.de saturation dans la 3e couche. Au début de l’après-midi, un craquement effroyable se fait entendre et le toit du bassin s’effondre, provoquant un fort déplacement d’air. Des infiltrations d’eau affluent dans la galerie du bassin. Les ouvriers-mineurs tentent de les contenir en érigeant des barrages pour éviter l’ennoiement de la 11e couche en exploitation. Mais l’eau dissout le sel du sol et des parois et les batardeaux se révèlent inefficaces. Des centaines de "tonnes" d’eau sont remontées pendant toute la durée des travaux d’endiguement. En vain ! 
        Au 4 mars, la 11e couche est noyée sous 6,40 m. d’eau. Et les eaux affluent toujours. 
        Des mesures sont alors prises par l’Administrateur pour assurer l’alimentation ultérieure des poêles en eaux salées. Une pompe d’extraction est placée provisoirement dans le puisard en attendant de pouvoir l’installer dans le puits Saint-Etienne.  
        Le 16 mars, le journal de la mine rapporte : "A 11 heures du soir, nous étions près de l’orifice du puisard quand un violent coup d’air s’est fait sentir ; les lampes se sont éteintes . . ."  Un mouvement du sol se manifeste causant, fissures, crevasses et affaissements de terrains.
        Malgré tous les efforts faits pour son sauvetage, la mine est totalement inondée et l’exploitation du sel gemme prend fin en mars 1864.

        Les sondages

        Localisation des sondages 

        Pour obtenir la saumure saturée nécessaire à son activité et à sa production, la saline a recours aux sondages. Après forage, chaque trou de sonde est chemisé par des tubes en acier pour limiter les éboulements. On remarque la présence d’un sondage par le chevalement qui protège son accès, sa pompe d’extraction et le matériel indispensable à son fonctionnement. 

        Neuf sondages sont réalisés à Dieuze de 1885 à 1954. 

        • Le sondage n°1 est établi en 1885. Il atteint une profondeur de 125,33 m.  Il est encore utilisé en 1955.
        Sondages 2, 3 et 4 en 1913
        • Le sondage n°2 est installé aussi en 1885 et parvient à 122 m. et fonctionne jusqu’en 1906. 
        • Le sondage n°3 est foré en 1906 jusqu’à une profondeur de 102,5 m. Il fonctionne jusqu’en 1924.
        • Le sondage n°4 est creusé en 1906 et fonctionne jusqu’en 1923.
        • Le sondage n°5 est mis en service de 1924 à 1927.
        • Le sondage n°6 est commencé en 1926. Il a une profondeur de 112,30 m. 
        • Le sondage n°7 entre en fonction en 1948. Sa profondeur est de 111 m. Il est supprimé en 1951. 
        • Le sondage n°8 entre en activité en 1951 et fonctionne jusqu’en 1973 c’est-à-dire jusqu’à la fin de la fabrication du sel. 
        • Le sondage n°9 est le seul à être érigé hors du périmètre de la saline. Creusé en 1954, il atteint 100 m. de profondeur et fonctionne jusqu’en 1973. 

        Le Bâtiment Administratif

        Bâtiment administratif 

        Ancienne "Recette", ce bâtiment a toujours eu un rôle administratif. Ses bureaux gèrent toute la vie de la saline (organisation, recettes, ventes, travaux, personnel…). 
        Avant la construction de la "maison du directeur", le responsable de la saline y occupait un appartement à l’étage. A l’arrière, un parc ombragé agrémente le lieu.  

        Bât A : Logement d’employés
        Bât. B : Bâtiment administratif (recette et bureaux)
        Bât. C : Maison de direction
        Bât. D : Puits salé 
        Bât. E : Délivrance 
        Bât. F : Caserne (logements des gabelous, ensuite personnel de la saline)
        Bât. G : Logements d’employés et chapelle (aujourd’hui Mosellis)
        Bât. H : Ancien garage (aujourd’hui Services Techniques)
        Bât. I : Ancienne maison du sous-directeur (aujourd’hui privé)
        Bât. J : Logement du portier (aujourd’hui Office du Tourisme et Association des Salin

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